écrin2moncoeur

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Tu m'appartiens




TU M'APPARTIENS

Max Lucado

Illustré par Sergio Martinez

Editions clé.

 

 

 

PUNCHINELLO VIVAIT A Vémicheville.

Comme les autres Vémiches, il était en bois.

Comme les autres Vémiches, il avait été scultpé par Eli, le créateur des Vémiches. Et comme les Vémiches, il lui arrivait de faire des bêtises.

Comme la fois où il se mit à collectionner des boîtes et des balles.

 

La situation commença à devenir absurde le jour où Aki acheta une boîte neuve.

Les autre aussi possédaient des boîtes, mais celle d'Aki était toute neuve.

Aki aimait beaucoup sa nouvelle boîte. Il pensait que c'était la plus belle boîte de tout le village. Elle était de couleur vive, et il en était fier, trop fier peut-être. Il se pavanait dans les rues avec sa boîte en fanfaronnant.

« Avez-vous vu ma nouvelle boîte ? » demandait-il aux Vémiches qu'il croisait dans la rue. « Qui veut toucher ma nouvelle boîte ? »

 

Aki se dirigea droit vers Punchinello.  « Tu aimeris bien avoir une boîte neuve, hein ? » lui dit-il pour le narguer.

Punchinello trouva la boîte magnifique et se mit à désirer une rien que pour lui.

Aki continua de se faire admirer avec sa boîte. Il pensait que le simple fait d'avoir une boîte neuve le rendait meilleur que les autre Vémiches.

Mais Mieu-Mieu, un autre Vémiche n'était pas d'accord. « Ma boîte vaut bien celle d'Aki », dit-il, en montrant fièrement sa boîte aux Vémiches de l'autre côté de la rue. La boîte de Mieu-Mieu n'était pas neuve, mais elle était plus grande et de couleur plus vive que celle d'Aki – un peut trop à son goût.

Déconcerté, Aki ne dit plus rien et jeta un regard furieux à Mieu-Mieu. Puis il eut une idée. Il entra dans un magasin et acheta une balle. A présent, il possédait plus de choses que Mieu-Mieu. Il avait une boîte et une balle.

Le visage de Mieu-Mieu s'assombrit à la vue de la balle d'Aki. Mieu-Mieu pouvait faire mieux. Il acheta deux balles. Le sourire aux lèvres, avec ses deux balles et sa boîte dans les bras, il se dirigea vers Aki d'un pas triomphant et lança d'un air satisfait : « Maintenant j'en ai plus que toi ! ».

 

Aussitôt dit, Mieu-Mieu se retrouva dans le magasin pour acheter une nouvelle boîte. Puis il courut acheter une nouvelle balle. Alors Aki acheta une balle et Mieu-Mieu acheta une boîte.

Balle. Boîte. Balle. Boîte.

Aki. Mieu-Mieu. Mieu-Mieu. Aki. Cela n'en finissait plus.

Quelqu'un aurit bien pu faire cesser tout ce désordre ; en fait, c'est ce que le maire essaya de faire. « Vous vous comportez comme des idiots », dit-il à Aki et Mieu-Mieu. « Peu importe qui a le plus de jouets ! »

« Vous êtes jaloux, voilà tout, répliquèrent-ils, parce que vous n'en avez pas ».

« Moi, jaloux ? De vous ? Pas du tout ! »

En un instant, le maire entre dans le magasin pour en ressortir les bras pleins de boîtes et de balles.

 

D'autres Vémiches se mirent à lui emboîter le pas. Le boucher. Le boulanger. Le menuisier. Le docteur en haut de la rue et le dentiste en bas de la rue. Très vite, chaque Vémiche voulut être le seul à posséder le plus de boîtes et de balles.

Certaines boîtes étaient grandes, d'autres de couleurs éclatante.

Certaines balles étaient lourdes, d'autres légères.

Des grands en portaient. Des petits en portaient. Tout le monde en portait.

Et tout le monde pensait la même chose : Les bons Vémiches en ont beaucoup. Les pas-si-bons Vémiches en ont peu.

Lorsqu'un Vémiche traversait le centre de Vémicheville avec une pile de balles et de boîtes, qui était plus haute que sa tête, les gens s'arrêtaient : « Ah, voilà un bon Vémiche », disaient-ils. Mais quand un Vémiche passait avec une seule balle ou une seule boîte, ils secouaient la tête et pensaient, parfois murmuraient : « Pauvre Vémiche. Pauvre, pauvre Vémiche ».

 

Bien sûr, Punchinelo ne voulait pas qu'on le traite de pauvre Vémiche. Il décida donc de se procurer autant de boîtes et de balles que possible. Il fouilla dans son placard et trouva une seule petite balle. Il plongea la main dans sa poche et en retira juste assez d'argent pour une seule petite boîte.

« Je sais ce que je vais faire, déclara-t-il, je vais vendre mes livres pour avoir plus d'argent et acheter encore plus de boîtes et de balles ».

Aussitôt dit, aussitôt fait. Il acheta un boîte verte et bleue avec des nuages peints sur le côté. Mais il en voulait davantage. « Je vais travailler la nuit pour gagner encore plus d'argent », se dit-il. Et il acheta une balle. Et comme il travaillait de nuit, il n'avait plus besoin de son lit. « Je vais vendre mon lit », décida –t-il. C'est ce qu'il fit et il acheta deux autres balles.

Punchinello en eut bientôt autant que ses bras pouvaient en contenir. Mais d'autres Vémiches en avaient plus. Certains en avaient même tellement qu'ils avaient de la peine à marcher. « Toutes ces boîtes et ces balles, ça nous dépasse » disaient-ils, feignant de se plaindre, alors qu'en réalité ils se vantaient.

 

Punchinello voulait ressembler à ces Vémiches-là. Il vendit donc plus de choses et travailla davantage. Ses yeux se fermaient à cause du manque de sommeil. Ses bras étaient fatigués de porter des jouets. Il ne se souvenait plus de la dernière fois où il s'était assis pour se reposer. Mais pire que tout, ses amis ne se souvenaient pas de la dernière fois où Punchinello avait joué avec eux.

« Ca fait longtemps qu'on ne t'a pas vu , lui dit un jour son amie Lucia.

« Pourquoi ne reviens-tu jouer avec nous ? » lui demanda son copain Flipot.

En fait, les boîtes et les balles n'intéressaient pas tout le monde. Les amis de Punchinello s'en moquait pas mal. Mais Punchinello, lui, se souciait plus d'avoir des boîtes et des balles que d'avoir des amis.

« J'ai du travail à faire », leur disait-il. Et ses amis soupiraient.

Punchinello ne s'en préoccupait pas. Il ne s'intéressait qu'à ce que les gens à boîtes-et-à-balles pensaient. Et malgré tous ses efforts, les choses qu'il achetait ne suffisaient pas à attirer leur attention.
Finalement, il eut une idée.  « Je vais vendre ma maison », décida-t-il.

« C'est de la folie ! s'écria Lucia ».

 

« Où vivras-tu ? » demanda Flipot.

Punchinello n'en savait rien, mais il s'en moquait. Il ne pensait qu'aux boîtes et aux balles qu'il allait avoir avec tout ce argent. Il vendit donc sa maison. Il acheta des boîtes, des boîtes et encore des boîtes, des balles, des balles et encore des  balles. Il portait tellement de jouets qu'il voyait plus où il allait. La pile dépassait largement sa tête.

Mais cela n'avait pas d'importance. Ses bras lui faisait mal, et alors ? Il rentrait dans les murs, et alors ? Il n'avait pas d'amis, et alors ? Il avait des boîtes et des balles, et quand il croisait des Vémiches, ceux-ci se retournaient et disaient : « Wouah, ce doit être un bon Vémiche ! » Punchinello les entendait, et il se sentait bien. Je suis un bon Vémiche, pensait-il.

 

Mais à ce moment-là, quelqu'un changea les règes. C'était la femme du maire. Elle était très fière de ses boîtes et de ses balles. Non seulement elle en avait beaucoup, mais elle en possédait aussi de très particulières. Elle achetait dans les magasins les plus chic aux noms bizarres et laissait les étiquettes sur les boîtes pour que tout le monde puisse les voir. Elle voulait être la meilleur Vémiche.

Un jour, elle eut l'idée. « Non seulement c'est moi qui en aurai le plus, mais c'est moi qui me tiendrait le plus haut' »

Elle se percha donc sur l'une de ses boîtes et cria : « Regardez-moi tous ! »

Immédiatement, les gens à boîtes-et-à-balles essayèrent de faire mieux qu'elle. L'un deux grimpa sur une fontaine, un autre sur un balcon et un autre sur un toit. Cependant, ce fut le maire qui repéra la montagne.

 

Derrière le village des Vémiche se dressait le Pic des Vémiches. « Je vais au sommet de la montagne », cria-t-il, espérant y arriver le premier. La course était lancée. On allait voir quel Vémiche grimperait le plus haut avec le plus de jouets. Chargés de boîtes et de balles, les Vémiches commencèrent à gravir la montagne en courant.

Ce fut une course folle, vraiment folle. Comme les bonhommes de bois ne voyaient pas où ils allaient, ils se rentraient dedans. Comme ils étaient épuisés, il s'emmêlaient les pieds et tombaient. Comme le sentier était étroit, dès qu'ils le quittaient, ils perdaient l'équilibre. Mais ils poursuivaient leur ascension.

Punchinello fermait la marche. L'escalade lui était difficile, plus difficile qu'aux autres. Après tout, il n'était « un bon Vémiche » que depuis peu. Il n'avait pas l'habitude de porter tant de boîtes et de balles. Pourtant il était déterminé. Il mettait un petit pied de bois devant l'autre sans s'arrêter. Mais comme il ne pouvait pas voir, il ne savait pas qu'il se trouvait hors du sentier.

Et puisqu'il ne voyait rien, il ne savait pas qu'il avait perdu le sentier.

Soudain, il se retrouva tout seul : c'est tout ce qu'il savait. Je dois être devant tout le monde, se disait-il. Alors il continua de grimper, grimper et grimper encore. Je dois être très près du sommet. Je suis tellement bon. C'est moi qui serai le plus haut avec le plus de choses.

Au même moment, le pied de Punchinello heurtait le bord de quelque chose. Il essaya de garder l'équilibre : ses jouets oscillaient de droite à gauche. Il se pencha en arrière, puis en avant, mais il n'y pouvait rien : il allait tomber.

Il ne savait pas, cependant, qu'il avait gravi le sentier qui menait à ma maison d'Eli. Il trébucha contre la marche à l'entrée et s'étala de tout son long dans l'atelier d'Eli.

Lorsque Punchinello comprit où il se trouvait, il se sentit gêné. Pendant un long moment, il resta le visage contre terre, entouré de se boîtes et de ses balles. L'une des balles roula à l'autre bout de la pièce et s'arrêta devant l'établi d'Eli. C'est alors que le sculpteur se retourna.

« Punchinello ». La vois d'Eli était à la fois calme, grave et douce.

Le Vémiche ne bougeait toujours pas. Il sentait son visage de bois devenir tout rouge.

« Tu as dû porter une lourde charge » ;

Péniblement, le Vémiche se mit sur les genoux, mais garda la tête baissée.

« Ce sont mes boîtes et mes balles », dit-il d'une petite voix.

 

« Est-ce que tu joues avec ces boîtes et ces balles ? » demanda Eli.

Punchinello fit non de la tête.

« Est-ce que ces boîtes et ces balles te plaisent ? »

« Elles me plaisent parce que depuis que je les ai, je me sens différent ».

« Comment cela, différent ? »

« Je me sens important », répondit Punchinello, de la même petite voix.

« Hmmm, réplique Eli, donc tu t'es mis à croire qu'accumuler toutes choses te rendra meilleur et plus heureux ».

« Viens ici, Punchinello. J'aimerais te montrer quelque chose ».

 

Punchinello leva sa petite tête en bois et regarda Eli pour la première fois. Il fut soulagé de voir que le créateur des Vémiches n'était pas en colère.

Punchinello suivit Eli jusqu'à la fenêtre.

Punchinello vit au-dehors la colonne de Vémiches qui continuaient de gravir la montagne. Ils culbutaient, trébuchaient, se battaient et allaient même jusqu'à jouer des coudes pour passer devant.

« Ont-ils l'air heureux ? » demanda Eli.

Punchinello secoua simplement la tête.

« Ont-il l'air importants ? »

« Pas du tout », dit Punchinello, l'attention attirée par le maire et sa femme. Ce dernier était face contre terre et sa femme lui marchait sur le dois.

« Penses-u que j'ai créé les Vémiches pour qu'ils se comportent ainsi ? » demanda Eli.

« Non ».

 

Punchinello sentit une large main se poser sur son épaule.  « Sais-tu que tes boîtes et tes balles t'ont coûté ? »

« Mes livre et mon lit. Mon argent et ma maison ».

« Mon petit ami, elles t'ont coûté bien plus que cela ».

Punchinello essayait de se rappeler ce qu'il avait vendu d'autre lorsque Eli poursuivit : « Elles ton coûté ton bonheur. Elles ne t'ont pas rendu heureux, n'est-ce pas ? »

Punchinello marqua une pause. « Non ».

« Elles t'ont coûté tes amis. Et surtout, elles t'ont coûté ta confiance. Tu n'as pas placé ta confiance en moi pour trouver le bonheur. Tu as placé ta confiance en ces boîtes et ces balles ».

Punchinello regarda le tas de jouets. Tout à coup, ils semblaient avoir perdu leur valeur.

« Ne t'en fais pas », répondit Eli, « tu es toujours aussi précieux ».

Punchinello baissa vivement la tête et sourit.

« Tu n'es pas précieux à cause de ce que tu as. Tu es précieux à cause de ce que tu es. Tu m'appartiens. Je t'aime. Ne l'oublie pas, mon petit Punchinello ».

 

« Je ne l'oublierai pas ». Punchinello sourit.

Puis il demanda, après un moment d'hésitation ;

« Eli ? »

« Oui ».

« Que vais-je faire de toutes ces boîtes et de ces balles ? ».

« Peut-être devrais-tu les donner à quelqu'un qui en a vraiment besoin ».

Punchinello fit demi-tour pour s'en aller, mais ils s'arrêta à nouveau : « Eli ? »

« Oui ».

« Je n'ai nulle part où dormir ».

Eli sourit et proposa : « Voudrais-tu dormir ici cette nuit ? ».

« Volontiers. Je suis très fatigué ».

Et c'est ainsi que Punchinello dormit bien. Qu'il était bon d'être dans la maison de son créateur.



18/04/2010
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